Dans le mur... du son !

Mais qu'est-il donc arrivé à l'Espace B, autrefois petite salle sympa et chaleureuse au fond d'un bar, désormais apparemment repaire de branchés ? On se retrouve donc au milieu d'une foule, mais il faut dire que dans un monde parfait, avec une bonne maison de disque, la tête d'affiche d'aujourd'hui ne jouerait pas là mais au moins à la Cigale, dont une bonne partie fait preuve d'un certain sans gêne comme à la grande époque de la Flèche d'Or, en s'agitant, papotant bruyamment (mais c'est la deuxième journée de beau temps printanier, bordel, vous seriez bien mieux dehors !) et avec même les charmants retardataires qui poussent, bousculent et se faufilent pour se mettre juste devant vous et gâcher le peu de vision de la scène qu'on peut avoir. Pour mieux repartir au bout de quelques minutes, devant la performance pour le moins peu enthousiasmante de Will Samson. Une musique lente et minimaliste : quelques boucles, de rares beats, quelques notes de "piano" et des accords de guitares pas franchement folichons. Avec sa mine concentrée, voire tourmentée, les mauvaises langues iraient même jusqu'à dire constipée, son désir de nous montrer à quel point il peut passer de l'aigu au grave, quand il ne se prend pas carrément pour Jeff Buckley, il ressemble plus à un aspirant chanteur cherchant à convaincre le jury de The Voice qu'à un artiste accompli nous donnant le meilleur de son répertoire. Bref, on s'ennuie, même si une partie du public lui réserve un fort bon accueil.

Selon le point de vue duquel on se place, on pourra considérer que le fait de l'Espace B soit quasi-plein ce soir pour Marissa Nadler est soit le signe qu'un artiste peut connaitre un certain niveau de succès en sortant ses disques lui-même, soit la preuve que sans un bon label et une solide équipe derrière lui, il ne peut atteindre un vrai niveau de reconnaissance. En voyant la moitié (j'exagère à peine) des personnes présentes venir la saluer en lui rappelant les dernières fois qu'ils l'ont vu et en se remémorant ses concerts précédents dans des "vraies" salles (Maroquinerie, Nouveau Casino), difficile de ne pas pencher pour la deuxième solution et de ne pas penser que la dame pourrait définitivement avoir laissé passer sa chance de connaitre un succès plus que d'estime. En commençant par une version assez originale de son 'Fifty Five Falls', elle annonce en quelque sorte la couleur : oubliez les chansons que vous connaissez et profitez de l'inattendu. Des "classiques" comme 'Ghost & Lovers', 'Summer of Love is Over', 'Diamond Heart', 'Dying Breed', 'The Sun Always Reminds Me of You', 'The Wrecking Ball Company'... sont ainsi retravaillés, réinterprétés, gagnant ou perdant en vitesse, en reverb... et c'est un vrai délice ! La voix a plus d'ampleur que jamais, perdant un peu par moment de sa pureté cristalline pour gagner une chaleur nouvelle. Après un long tuning, la demoiselle termine avec 'Mr John Lee' et 'Daisy, Where Did You Go?', deux morceaux, qui tels qu'interprétés aujourd'hui, prennent un côté étrange, surf et dreamy, puis enchaîne avec un court rappel. Et en sortant de la salle, on se dit que la frêle jeune femme, timide, effacée et presque gênée d'être là qu'on avait découvert, il y a de cela pas mal d'années, aux Mains d'oeuvres, a laissé place à une artiste accomplie, certes toujours un peu réservée, mais communiquant beaucoup plus facilement avec son audience et faisant preuve de beaucoup plus de variété dans son jeu de guitare et les ambiances qu'elle crée. Une grande dame, dont on ne comprend toujours pas qu'elle n'ait pas connu une consécration qui semblait pourtant lui tendre les bras au moment de Little Hells. Et qui nous a encore offert une grande soirée.

lyle

Marissa Nadler

Will Samson