Paris est magique, mais surtout au foot. Le reste du temps, Paris inquiète. Au foot aussi un peu, d'ailleurs. Parfois.
Tout commençait bien, pourtant. C'était une soirée bonnet, et j'avais gardé le mien en entrant. De quoi accueillir comme se doit Aaron Espinoza, leader d'Earlimart, grand copain de Jason Lytle (ils jouaient ensemble dans l'excellent Admiral Radley) et spécialiste californien des bonnets rouges. On se sent parfaitement en phase, à tout le moins en terme de look, car il faut bien reconnaître que pour le reste la prestation n'a à peu près aucun intérêt. C'est faible vocalement, c'est faible en terme songwriting, c'est proche du néant en matière de présence scénique. Des fois, par éclats, c'est potable. Mais le plus souvent, on soupire en se disant que certains ont tout de même du bol d'avoir des copains talentueux et connus. Parce qu'à ce moment-là, bizarrement, on est convaincu – et le monde dans la salle ne fait rien pour nous détromper – que Jason Lytle est un mec un peu connu.
C'est juste après que le drame a lieu. Un drame qui n'a pas fait de bruit (c'est bien ce qui le rend horrible). Un drame discret, tiède comme une audience parisienne. Quand Jason Lytle foule enfin la scène (façon de parler puisqu'il restera assis dans son coin durant tout le set), j'avoue devoir réprimer une certaine émotion. C'est la première fois que je le vois "en vrai", comme on dit, après des années d'occasions manquées, que ce soit en solo ou en groupe. Et puis il y a ce sentiment de le choper au bon moment, après un album splendide (Dept. of Disappearance, sorti à l'automne dernier et unanimement acclamé par les douze personnes qui s'y sont intéressées), "peut-être son meilleur depuis The Sophtware Slump", dixit mon rédacteur en chef (je ne suis pas d'accord mais le seul fait que quelqu'un puisse l'envisager indique déjà, en soi, que ce n'est pas le premier disque venu).
Sauf qu'apparemment, je suis le seul à être un peu ému. Le reste du public semble être venu voir Jason Lytle comme s'il s'agissait de Jean-Pierre Dugeon (le célèbre songwriter auvergnat) ou de Robert Bidule (la légende du rock progressif neufchâtelois). Avec Lyle, qui est à côté de moi même si vous ne pouvez pas le voir, nous nous regardons non sans une certaine consternation. Parce que la salle - en tout cas la fosse - est remplie. La soirée affiche complet, mais l'ambiance est la même que s'il y avait trente personnes dans la pièce (et encore : trente personnes qui se seraient levées très tôt le matin, pas trente acharnés). "Amorphe", lâche mon comparse. J'approuve. De mémoire de vieux rats de concerts, aucun de nous deux n'a jamais vu une atmosphère si inversement proportionnelle à l'affluence, au point que l'on soit en droit de s'interroger sérieusement sur les raisons de la présence de gens qui frémissent à peine lorsque le songwriter entame son dernier single (l'excellent 'Get up & Go'), qui ne bougent même pas les lèvres sur les morceaux un peu connus, qui ne bougent même pas tout court en fait... et applaudissent finalement à peine plus un Lytle pourtant égal à lui-même qu'il n'applaudissaient Espinoza (que la moitié d'entre eux ne connaissait probablement pas) une demi-heure plus tôt. C'en est presque gênant, le dispositif du Café de la Danse étant susceptible de la plus grande cruauté vis-à-vis de la fosse : depuis l'estrade, on peut quasiment déchiffrer les visages des gens juste en-dessous, les scruter à loisir et donc, en l'occurrence, s'effarer de ne voir que des mines fermées, peu de sourires, et juste un ou deux courageux secouant la tête (comme par hasard des mecs portant des bonnets, signe de reconnaissance immédiat entre purs et durs, donc). Le reste de la masse semble dans l'expectative, voire se fait un peu chier (alors que le concert est très beau et renferme même, avec 'Matterhorn', un authentique moment de grâce), comme attendant plus ou moins ouvertement un tube qui ne viendra finalement jamais (il est certain que dans l'ensemble, l'assemblée n'a pas méritée que l'artiste s'abaisse à lui offre un 'A.M. 180' ou autre hymne imparable dont Grandaddy avait le secret ; compte tenu de la molesse du « bis », on peut même considérer qu'avoir droit à un rappel est en soi immense privilège). C'est dans ce genre de moment que l'on réalise à quel point un concert est réellement affaire de communion : Lytle a beau livrer une prestation honnête, pétrie de morceaux touchants, il est bien difficile d'entrer complètement dans un show à ce point dénué d'ambiance et de réponse collective. A la décharge du public, reconnaissons que Lytle, mutique et à ce point écrabouillé dans un coin qu'une partie de la salle doit à peine parvenir à le distinguer, ne fait pas grand-chose non plus pour communiquer ; il réussit même la prouesse de sembler encore plus distant et froid qu'un J Mascis, ce qui n'est pas peu dire. Mais allons : c'est tout de même Jason Lytle. Nul doute que lorsqu'il passe en Angleterre, en Allemagne ou même chez nous en province, il n'essuie pas un accueil aussi glacial, principalement composé d'applaudissement polis même pas très nourris. Chacun aura beau jeu de se renvoyer la balle, de dire que c'est l'autre qui a commencé, la vérité n'a dans le fond pas grande importance. Ça ne l'a pas fait, c'est tout. De dépit, j'en ai ôté mon bonnet en sortant.
Thomas
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16:18 | Lien permanent | Commentaires (9)
Commentaires
"Nul doute que lorsqu'il passe en Angleterre, en Allemagne ou même chez nous en province, il n'essuie pas un accueil aussi glacial, principalement composé d'applaudissement polis même pas très nourris"
Pour affirmer ça, il faudra peut-être le voir au moins une deuxième fois, non ?
Pas une mauvaise soirée, démarrer sur Now It's On ne manquait pas de classe - même si je lui réserve un chien de ma chienne pour ne pas avoir joué Dept Of Disappearance. Sinon j'aime Earlimart en dépit de la frustration provoquée par un set solo.
Écrit par : Dalma | 13/02/2013
Répondre à ce commentairePerso, j'ai vu Grandaddy 3 fois à Paris, toujours avec un public très chaud. J'ai vu un paquet de concert au Café, parfois dans une salle quasi-vide (et sa configuration incite moins que d'autres aux débordements du public), mais jamais avec une ambiance comme celle-là, que j'aurais qualifiée de recueillement quasi-religieux... Donc on peut imaginer que ce n'est pas souvent comme ça. Maintenant pourquoi pas.
Après c'était loin d'être une mauvaise soirée...
Écrit par : lyle | 13/02/2013
Le voir une deuxième fois ? Ce sera avec plaisir ! :-)
Vous avez raison, il reçoit peut-être ce genre d'accueil partout où il passe ; comme je le note en conclusion, on ne peut pas dire que lui-même transpire la chaleur, cela dit j'ai du mal à y croire, en tout cas je ne l'espère pas pour lui.
@Lyle : "recueillement", mouais. Je comprends l'atmosphère de recueillement PENDANT les chansons, ENTRE, je comprends un peu moins. Je me souviens d'avoir vu au même endroit The Black Heart Procession, dans une configuration particulièrement dépouillée et austère, jouant des chansons extrêmement lentes et menaçantes... là, on pouvait parler de recueillement, on entendait quasiment les mouches voler pendant les passages (quasi) a capella. Mais entre les morceaux le public témoignait tout de même de son enthousiasme...
Écrit par : Thomas | 13/02/2013
Je sors de son concert rennais et c'était assez calme là aussi, comme tous les concerts en France de tous les artistes en général non ? ^^ (c'est vrai que je ne vais voir que des groupes calmes qui ne déchaînent pas les foules aussi)
Jason n'est pas très bavard c'est sûr que ça n'aide pas, moi j'y vois plus une audience sage et attentive que désintéressée. Très beau concert par ailleurs, un peu court (une heure sans rappel), avec une belle reprise de Wave of Mutilation des Pixies !
Écrit par : Erwan | 13/02/2013
Répondre à ce commentaireCalme, c'est une chose, mais ça manquait beaucoup de chaleur et d'enthousiasme, à mon sens, c'est pour cela que je parlais de recueillement quasi-religieux, on se serait cru en train d'écouter le curé à la messe, avec pas trop de joie à la fin du sermon :-)
Arborea (et c'est calme aussi) devant 20 personnes déchaînait bien plus de passion, par exemple...
Écrit par : lyle | 13/02/2013
Haha. C'est vrai que si on va par-là, la France n'est de toute façon pas le pays le plus déchaîné en live ^^
Écrit par : Thomas | 14/02/2013
Oui, enfin ça dépend qui joue...
Écrit par : lyle | 14/02/2013
Oui... bizarrement le public de Killer Mike était un peu plus accueillant, ce soir...
Écrit par : Thomas | 14/02/2013
Répondre à ce commentaireOui, et dans un autre genre, j'ai vu le public de Low ultra-bouillant...
Écrit par : lyle | 15/02/2013
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