Sufjan Stevens - All Delighted People EP
Label : Asthmatic Kitty Sortie : 20/08/10 Format : MP3 Disponible : ici sortie CD/double vinyle en décembre |
Longtemps j'ai cru que j'étais frappé d'une malédiction, un sort contagieux qui touchait du même coup les artistes dont j'étais fan. Une malédiction qui remonte loin, à mon premier amour musical il y a plus de quinze ans. Quand sort en 1991 Nevermind de Nirvana, je n'ai alors que onze ans et j'échappe pour cette raison au phénomène (et aussi car j'ai grandi sans télévision et donc sans MTV), phénomène qui me rattrapera malgré tout deux ans plus tard avec la sortie de In Utero, troisième album du groupe et le premier disque que j'ai acheté (le premier d'une (très très) longue série) (je me souviens d'ailleurs être retourné au magasin rendre le CD à cause d'un défaut à la fin du disque, une longue plage de silence entre l'avant-dernier morceau et le dernier ; voyant que le problème se répétait sur le second exemplaire, j'en conclus que cela devait être volontaire (et ainsi Erwan découvrit l'obscur concept de chanson cachée)). Fan pur et dur de Nirvana à cette époque, j'usai jusqu'à la corde In Utero et Nevermind acquis dans la foulée et je me convertis au grunge. Converses, jeans troués, chemises à carreaux, pull camionneur, la tenue complète au rendez-vous (et non, il n'y a pas de traces photographiques de cette période!). Pendant plus d'un an je n'ai dû écouter que ces deux albums, jusqu'à l'obsession, en attendant impatiemment une suite. La suite ce fut malheureusement ce jour tragique d'avril 1994 où l'on apprit la nouvelle du décès de Kurt Cobain, retrouvé mort plusieurs jours après s'être tiré une balle de fusil dans la tête. Je me souviens de ce jour où l'on a l'impression que tout s'écroule, que rien ne sera plus comme avant. C'est sans doute ce jour-là que se sont terminés à la fois mon sentiment d'innocence de l'enfance et celui d'invulnérabilité de l'adolescence. Ce jour-là aussi que je me suis fait la promesse de ne plus jamais être fan d'un autre groupe ou artiste (autre promesse : se suicider le même jour d'avril l'année de mes 27 ans ; un engagement qui s'estompera au fil du temps, plus je m'éloignai de mes quatorze ans et me rapprochai des vingt-sept). Est-ce la faiblesse musicale de la fin des années 90 et du début des années 2000, est-ce le fait de vivre dans la campagne bretonne loin du bouillonnement culturelle d'une grande ville, sans internet pendant longtemps, avec Rock & Folk pour seule source de découverte (non je n'ai jamais lu les Inrocks), toujours est-il que j'ai plus ou moins volontairement tenu cette promesse les années suivantes. Les Greenday, Offspring ou Presidents of the USA sont certes des groupes sympathiques pour un ado cherchant à combler le vide laissé par son idole, mais pas de quoi devenir fan hardcore de l'une de ces formations. Et quand on a loupé le wagon de la britpop et que l'on est arrivé à Radiohead sur le tard, on se retrouve à 20 ans sans groupe préféré.
Sufjan Stevens (oui, je voyais que certains commençaient à s'inquiéter et se demandaient s'il n'y avait pas eu une erreur de texte) et où toute résistance est inutile : on tombe fou amoureux de la musique orchestrale de l'américain, d'autant plus en s'apercevant qu'on est passé à côté des deux chefs-d'oeuvre qui ont précédé Illinoise. Changement d'époque, on ne s'habille plus comme son idole (qui a un accoutrement tout à fait banal de toute façon) mais on part à la recherche de la discographie sur internet, on fouine pour trouver les inédits et on ouvre un blog dont le nom s'inspire d'une de ses chansons. On a à nouveau 13 ans, on est plein d'espoir, surtout quand on se rend compte que le jeune homme a l'air plus stable psychologiquement que Kurt Cobain. Et là, c'est le drame (comme on dit): un album de chutes de studio et une compilation de chansons de Noël (magnifiques par ailleurs) l'année suivante, rien celle d'après, toujours rien un an plus tard... Damned, la malédiction a donc encore frappé ! Il suffit que je m'intéresse à Sufjan Stevens pour que celui-ci passe d'un album par an pendant cinq ans à rien ou presque en trois ans. Et ce n'est pas son album "travaux publics" (comme le dit si bien un lecteur qui se reconnaîtra) de 2009 qui viendra me rassurer sur les capacités de Sufjan à sortir un nouveau vrai album studio. Arrivé à un stade de désespoir tel que c'en est plus tenable, plutôt que se tourner vers le maraboutisme je préfère prendre le contre-pied et ne pas faire attention aux rumeurs pour ne pas me faire de mal, voire même me chercher d'autres artistes fétiches (Joanna Newsom, Spencer Krug). La jouer blasé, désinvolte, histoire de se dire qu'il ne peut y avoir que des bonnes nouvelles désormais.
Et là, miracle (effets spéciaux, deuxième), en ce vendredi 20 août, non seulement on apprend la sortie d'un nouvel Ep, mais en plus il est disponible là, tout de suite, immédiatement, à l'instant! Un Ep, on aurait préféré un Lp mais en voyant la durée du disque (59 minutes) le seul reproche que l'on pourrait faire est vite dissipé. Car pour le reste on y trouve le genre de morceaux épiques que l'on attendait de Sufjan au vu des inédits joués en live, avec passages électriques suivis d'accalmies aux choeurs angéliques ('All Delighted People' passe par ces deux stades avant une fin magnifique avec les désormais classiques cordes/vents/cuivres). Épique, le terme n'est sans doute pas galvaudé pour 'Djohariah' et ses douze minutes d'intro (sic) en deux parties avant que Sufjan n'apparaisse au chant. Plus surprenant, sur la majorité des titres (en nombre mais pas en durée car les deux versions de la chanson éponyme et 'Djohariah' approchent des quarante minutes) on entend un Sufjan revenir vers le dépouillement de Seven Swans ou de certaines chansons de Noël et on a ainsi droit à quelques unes des plus belles chansons de sa carrière avec 'Enchanting Ghost', 'From The Mouth of Gabriel' et son clavier bancal mais surtout 'The Owl And The Tanager', juste la voix de Sufjan (et Annie Clark en backing vocals) et un piano pour ce qui est peut-être sa plus belle chanson ('Sister Winter' a de la concurrence). Je rêve d'un album basé sur ce format minimaliste, juste sa voix magnifique et un piano, mais il faudra patienter car le prochain album s'annonce électro (The Age of Adz sortira le 12 octobre).
Enfin, côté songwriting, c'est une fois de plus superbe, avec des thèmes plus réalistes que par le passé: l'amour, la perte, la mort. Hein ? Pardon ?
I'm tired of life, I'm tired of waiting for someone I'm tired of prices, I'm tired of waiting for something No I'm not afraid of death or strife or injury, accidents, they are my friends Ah non ça ne va pas recommencer! Planquez le fusil, éloignez les boîtes de médicaments! Sufjan fais pas le con!
Erwan
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18:14 | Lien permanent | Commentaires (12)
Commentaires
Hé ben moi, je ne m'attendais pas à me ramasser une telle baffe de la part du père Sufjan... La grosse surprise de l'année. C'est sans doute démesuré, carrément excessif par instants (...et tout à fait dépouillé la minute d'après, d'ailleurs tu n'as pas parlé de la splendide "Heirloom", Erwan^^), mais ça fait plaisir de l'entendre se lâcher, faire à la fois dans la demie-teinte et la grandiloquence. Il y a un côté "sans filet et sans dégonfle" assez salutaire, en fait (sans parler d'un sens mélodique qui envoie valser des forêts entières de folkeux gentillets et inutiles).
Quant à "Djohariah", que dire... je ne vais rien dire, ce serait long, juste : ce morceau est gigantesque, incroyable, beau à chialer, "et toute cette sorte de choses" ;)
Écrit par : Dahu Clipperton | 11/09/2010
Répondre à ce commentaireMoi j'attends la sortie "physique"...
Écrit par : lyle | 11/09/2010
Répondre à ce commentaireCa va Erwan ? Non parce que tu n'as mis que 9 à Sufjan, du coup je m'inquiète un peu :-D
Écrit par : Thomas | 12/09/2010
Répondre à ce commentaireErwan a parlé avec son coeur et a trouvé les mots justes pour me donner envie d'écouter cet EP. Une nouvelle chanson meilleure que "Sister Winter" ou "The Predatory Wasp" ?! Je demande à entendre !
L'extrait des paroles de "Arnika" m'a bien plu aussi ; j'y perçois l'écho lointain du célèbre vers de Neruda : "It happens that I'm tired of being a man" (in "Walking Around")
The Man Of Rennes Steals Our Hearts... again !
Écrit par : J-P. | 12/09/2010
Répondre à ce commentaireenfin un qui aborde 2010 à la hauteur de sa réputation (remarque après ses 2 dernières bouses il avait beaucoup à se faire pardonner).
enfin un disque ambitieux, même si je ne suis pas encore à lui mettre 9 il pourrait bien me faire comme le biolay l'an dernier (là non plus j'étais pas acquis au bonhomme à la base).
alors sans devenir un fan hardcore je trouve ça rassurant d'entendre ce disque :-)
Écrit par : arbobo | 12/09/2010
Répondre à ce commentaire@Thomas: je garde le 10 pour l'album ;-)
Écrit par : Erwan | 12/09/2010
Répondre à ce commentairePas convaincu pour ma part... Alors que j'adore Sufjan Stevens (je ne parle pas de ses deux disques de 2009)... Celui-ci est trop grandiloquent... Par moments, j'ai l'impression que c'est un disque de The Polyphonic Spree... J'attends le nouvel album, en l'espérant quand même plus sobre, moins chargé et indigeste que celui-ci...
Écrit par : Ska | 20/09/2010
Répondre à ce commentairehoula, mais vous ne craignez pas au contraire que ce qui fonctionne sur EP, toutes ces couches de cordes, ne devienne précisément indigeste sur la longueur d'un album?
l'avantage du EP, c'est qu'on n'y met, ne général, que ce qu'on estime nécessaire. les albums ont presque toujours quelques titres dont personne n'a rien à foutre, y compris les fans.
Écrit par : arbobo | 20/09/2010
Répondre à ce commentaireEuh... 8 titres, une heure : il n'a quand même d'EP que le nom...
Écrit par : Dahu Clipperton | 20/09/2010
Répondre à ce commentaireOui, c'est presque une coquetterie un peu suspecte que de parler ici d'EP... Apparemment, pour ce qui a filtré des déclarations de Stevens, l'album à venir aura une couleur assez différente... Je ne m'en plains pas... Parce que, par moments, à force d'enrobage, de sucrerie et de choucroute sonore, All Delighted People, c'est un peu All Dégueuli People, non ?
Écrit par : Ska | 21/09/2010
Répondre à ce commentaireEt voilà, trois semaines plus tard, la désillusion... The Age of Adz est encore plus laid...
http://7and7is.over-blog.com/article-sublime-laideur-sufjan-stevens-a-la-derive-58948601.html
Écrit par : Ska | 15/10/2010
Répondre à ce commentaireEt encore, il est gentil... Illinoise et Michigan c'est surfait... Seven Swans par contre...
Écrit par : lyle | 15/10/2010
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